9h20. Nous avons rendez-vous avec Ghala et Anna, place Ronde à Chalon. Direction : la Halle Ronde (décidément, tout est rond !) de Givry où Ghala, artiste ukrainienne présente son exposition « Libération intérieure ». Un passage dans la boulangerie pour prendre trois cafés, et nous arrivons sur le lieu de l’exposition.
Sur les murs de pierres fraîches, les toiles colorées et vibrantes de Ghala remplissent l’atmosphère d’une douce chaleur. Ici, le spectateur est invité, dans un parcours circulaire, à la réflexion et à la méditation à travers deux questions : « Qu’est-ce que la liberté intérieure pour vous ? » « De quoi aimeriez-vous vous libérer maintenant ? »
Quatre temps forts marquent le parcours. Autant d’étapes par lesquelles Ghala est elle-même passée dans son cheminement intérieur et depuis son départ d’Odesa en Ukraine il y a deux ans, jusqu’à aujourd’hui.
Note : cette interview a été menée dans le cadre de la réalisation de la revue interculturelle Voix Du Monde, en partenariat avec le CICFM.
Premiers pas en France : l’art comme langage universel
À son arrivée en France, Ghala s’est retrouvée confrontée à la barrière de la langue. « Quand je suis arrivée ici, j’ai essayé d’apprendre le français, mais j’ai eu beaucoup de mal. Et j’ai eu très peur. Comment est-ce que je vais pouvoir échanger avec le monde si je ne parle pas français ? » Rapidement, elle comprend que l’art sera sa voix « À ce moment-là, j'ai compris que j’avais un outil d’expression : l’art. »
Les premiers mois en France ont été difficiles, notamment mentalement. « Je vivais des montagnes américaines ». Elle nous précise cette différence de langage : « En français, vous dites « les montagnes russes ». En Ukraine, on dit les « montagnes américaines ». Ce projet d’exposition lui a permis d’avoir un but pour avancer. « Si je n’avais pas eu ce projet, j’aurais été trop profond dans le côté sombre de mon esprit. »
L’art comme thérapie pour dépasser les difficultés
L’art, pour Ghala, a eu un rôle thérapeutique. Cette exposition est aussi un journal de son parcours.
À son arrivée en France, la création a été son exutoire. « Au début, je dessinais pour extérioriser. Les sentiments, c’est la première partie.». Peu de temps après, elle entame un travail en ligne avec un psychologue « Ça a beaucoup influencé mon art » et petit à petit, l’esprit a rejoint le travail intuitif pour donner vie à cette exposition, ce « grand cabinet d’art thérapie ». Ce chemin l’a d’ailleurs mené à se former professionnellement à l’art thérapie.
Compromis : le tableau de l’intégration
Parmi les œuvres de l’exposition, Ghala choisit de nous parler du tableau Compromis qui reflète les défis de l’adaptation à cette nouvelle vie.
Le chemin d’immigration est fait de compromis « Rester ou partir ? Compromis. Apprendre une nouvelle langue, comprendre tout un nouveau système, une nouvelle culture ? Compromis. » Ghala admet que pendant longtemps, elle a refusé certains compromis ce qui a crée des conflits internes. « Si un arbre est planté dans une terre où ses racines refusent de se nourrir, il ne pourra pas grandir. »
Pour exprimer ces conflits, Ghala utilise l’art et notamment la peinture acrylique. « Au début, c’est comme une méditation. Je ressens dans mon corps le conflit. J’utilise l’acrylique parce que c’est rapide. Je prends certaines couleurs et je fais ce que je ressens. C’est intuitif. Pas avec le mental. »
Acceptation : étape 0 de la transformation intérieure
Une fois ses émotions exprimées, Ghala peut entamer la deuxième phase de création en se questionnant « Et maintenant comment est-ce que je peux changer ça ? Comment je peux sortir de cette situation ? ». Pour le tableau Compromis, elle est entrée dans cette étape avec cette intention : « Maintenant, je veux accepter, c’est mon choix. Je veux accepter cette situation. » Cette fois, elle travaille avec de la peinture à huile, une matière qui demande plus de temps.
Elle nous partage une de ses prises de conscience. « Le temps où l’on ne prend pas de décision, ce n’est pas la vie, c’est un entre deux. Beaucoup de gens vivent dans cet espace. C’est une illusion de croire que quelque chose va arriver pour qu’on soit dans les bonnes conditions pour vivre. Quand tu émigres, ce sentiment est très clair. »
Dans le parcours de l’exposition, après le tableau Compromis, vient le tableau Renaissance. Ghala s’explique « La renaissance peut seulement venir après l’acception. L’acceptation, c’est l’étape 0.» En observant ce tableau, je vois comme une cascade jaillir de l’horizon. Et à la lumière des explications de Ghala, je me dis qu’accepter, c’est s’ouvrir à la possibilité de laisser la vie couler à nouveau, là où quelque chose avant, était bloqué. C’est ouvrir la porte à une nouvelle perspective.
« Si tu n’acceptes pas, tu peux passer un an, deux ans, dix ans sans trouver ta place. Parce que tu recherches une place que tu avais dans ta vie d’avant, mais c’est impossible. Tu dois trouver ta place dans cette nouvelle terre et seulement après tu pourras grandir. »
« L’intégration ce sont les gens »
Pour Ghala, l’intégration en France ne s’est pas faite par la langue, mais par les rencontres « La langue n’est pas mon point fort pour être honnête. Pour beaucoup de mes amis ukrainiens, ils ont appris le français et après c’était plus facile. Pour moi c’est un peu différent. ». Ce qui l’a vraiment aidée, c’est de s’ouvrir aux autres. « Ce n’est pas évident. Il m’a fallu beaucoup de temps pour sortir de ma bulle mais au bout d’un moment je me suis sentie prête. J’ai fait un premier pas qui m’a ouvert de nouvelles portes. Par exemple, au centre de loisirs, j’ai rencontré d’autres mamans. »
Émue, Ghala souligne combien elle s’est sentie soutenue depuis son arrivée « L’intégration ce sont les gens. Combien de personnes m’ont aidé ces deux dernières années ? Oh mon dieu. Il y en a tellement. Plus que dans toute ma vie en Ukraine. Je me suis vraiment sentie soutenue. Tu n’es pas seule. »
La France : un refuge choisi par instinct
Ghala se souvient du jour où elle a pris la décision de quitter l’Ukraine. « C’était le 8 Mai 2022. On ne vivait plus Odesa à ce moment-là car c’était trop dangereux mais j’étais revenue à l’appartement en pensant qu’on allait pouvoir bientôt réaménager avec les enfants. Puis il y a eu les sirènes et j’ai entendu un énorme « BOUM » .À ce moment-là j’ai compris que je ne pourrais pas revenir ici. »
Elle décide de prendre un billet sans retour pour elle et ses enfants. « Je ne sais pas pourquoi j’ai choisi la France. Je ne connaissais pas la langue, je n’avais pas d’amis, pas de contact. J’avais été une seule fois à Paris en touriste. Mais c’était intuitif. J’ai mis toutes nos vies dans une valise puis on est partis pour la Pologne et ensuite la France. »
Son sentiment en arrivant ici, elle le décrit avec les mots suivants : « C’est comme si tu naissais à nouveau mais dans le même corps. Tu es un enfant, tu as besoin d’aide, que des gens te prennent par la main. Puis ensuite tu grandis. Maintenant je dirais que je suis une adolescente peut-être. » Pour ses enfants, la première année a été très difficile. Mais depuis qu’ils sont entrés au CP, ça va beaucoup mieux. Avec le sourire, Ghala nous avoue « Si on doit parler de la langue, mes enfants sont plus adultes que moi. Parfois, ils parlent à ma place chez les commerçants. Ils jouent même en français à la maison ! »
Aujourd’hui, Ghala rêve de créer des espaces où son art pourra continuer à inspirer et à guérir.« Peut-être que ce sera des expositions, des séances d’art-thérapie en individuel ou en collectif. »
Alors que nous terminons notre entretien, nous demandons à Ghala de choisir un objet pour la représenter : « Hmm je dirais une boule de cristal comme celle que j’utilise dans la vidéo de présentation de l’exposition.» La forme ronde, symbole de cycles et de continuité, résonne chez Ghala (et avec notre lieu de rendez-vous et son lieu d’exposition !) « C’est un grand thème d’exploration artistique et de recherche pour moi. La sphère, le cycle de la vie. Le 0. C’est le début et la fin. Peut-être qu’un jour je comprendrais pourquoi » sourit-elle.
Le cycle de cette interview semble toucher à sa fin, mais je suis certaine que Ghala ne cessera d'explorer les paysages intérieurs de l'être humain et d'aider à transformer les champs de batailles en terres fertiles.
« Parfois tu as besoin de changement pour trouver ta place. La Vie veut ton bien. Mais parfois tu as besoin de temps pour le comprendre. Ce que je fais aujourd’hui, je n’aurais pas pu le faire si je n’étais pas partie. Je devais être étrangère pour pouvoir exprimer cela. »
Merci Ghala pour ce témoignage. Nous te souhaitons de partager au plus grand nombre les bienfaits de ton art.
Par Manon VINCENT - Pour la revue Voix Du Monde, réalisée avec l'association du CICFM. Découvrez l'intégralité de la revue : Voix Du Monde
Instagram : ghala_vasylenko & ghala_v_art
ghalavasylenko.art