Dans l'atelier d'Olga Londe, luthière à Dôle : la symphonie des sens.

Dans l'atelier d'Olga Londe, luthière à Dôle : la symphonie des sens.

8h55, « Eh ben voilà, on y est mon gobie » chante Monique, la voix marseillaise de mon Waze. Dole. 25 Rue Pointelin. J’ai rendez-vous à la lisière avec Olga, pour une promenade magique en forêt d’épicéas et autres essences de bois. Olga est luthière. Elle fabrique des instruments à cordes frottés anciens (violon, alto, violoncelle, contre-basse et viole de gambe) et leur donne de la voix.


Les dalton des cordes frottées. De gauche à droite : violon, alto, violoncelle, contrebasse

Quand Olga m’ouvre la porte de son atelier, l’odeur chaleureuse du bois travaillé m’accueille. Elle me rappelle celle de la scierie de mon village natal. Au sol, un tapis de copeaux. Olga est en train de raboter l’intérieur d’une table de violon en épicéa. Autour de nous, des outils, des instruments et de nombreuses plantes vertes.

Dans l'atelier d'Olga

Je m’assois sur un tabouret à tourniquet et lui explique la raison de ma venue : je voue une fascination au violon. J’aime sa sonorité, mais ce qui me fascine encore plus, c’est son anatomie, si proche de l’être humain. Le violon a une tête, un corps, des ouïes et même une âme ! Je suis venue rencontrer Olga pour en apprendre davantage sur cet instrument et découvrir son processus de fabrication, à travers un prisme que j’ai choisi : les cinq sens.



Prêt à plonger, les sens en éveil, dans la peau d’une luthière ?
C’est parti.

Olga, magicienne qui fait chanter le bois

L’ouïe : un oiseau sort du bois

Si le violon a deux ouïes dans le ventre, les oreilles d’Olga vont elles, lui être essentielles tout au long du processus de création. À l’origine de la fabrication d’un violon, il y a un désir à écouter. « À chaque commande, on discute entre musiciens et luthiers. Les musiciens utilisent des adjectifs qui leur sont chers, « brillant », « chaud », «doux ». Ils essaient d’expliquer ce qu’ils aimeraient comme son et après, je tente de m’en rapprocher au maximum ». Ensuite, direction le Haut-Doubs, terre d’épicéas, dans une scierie spécialisée. Cet arbre, star de la lutherie, est très prisé « essentiellement pour ses qualités de résonance. Il a aussi une grande souplesse et peut-être très léger ». Pour le choix du bois, Olga m’explique « Avec le temps, c’est devenu très intuitif. Je vais venir frapper le bois pour le faire sonner, résonner. Je choisis ce qui me parle le plus »  En l’écoutant, elle pré-sent le son futur qu’il aura.

Quels sont ensuite les bruits dans les oreilles d’une luthière ? « Au début de la fabrication de l’instrument, j’utilise une scie à rubans. Tout le reste, ce sont des outils à la mainIl y a énormément de couleurs sonores dans l’atelier parce que l'épicéa est très sonore de base. » Je lui demande si le bruit du bois lui évoque quelque chose. «  Il y a toujours un moment où ça me fait penser à un oiseau ». Un oiseau qui sort du bois ! Puis, elle continue « Mais il y a des aussi des sons qui font mal aux oreilles quand le bois résonne fort. »  

Une partie des outils d'Olga

Dans l’atelier, à ma gauche, il y a une commode, remplie d’outils et une chaine-hifi qui attire mon attention. Je demande à Olga si elle travaille en musique.   « Ça m’arrive souvent, au début, quand je commence un instrument, d’en écouter des CDs. Comme si j’avais besoin de ce rappel pour me lancer, m’en imprégner. Ensuite, si ça ne me demande pas trop de concentration, je peux écouter de la musique, des podcasts, de la radio. Mais il ne faut pas que ça soit une musique qui me perturbe. Il y a pas mal d’étapes où c’est important que ce soit le silence complet. Le bois pourrait craquer, il faut que je l’entende. » Le bois lui parle !

Et après l'avoir écouté, c’est à travers le toucher qu’Olga entre en dialogue avec la matière.

Le toucher : des mains qui murmuraient à l’oreille du bois.

Au fil des années, Olga a développé un toucher quasi intuitif. Ses mains, vierges de tout bijou pour des questions pratiques, connaissent les aspects du bois, ses variations, ses humeurs. «  En hiver par exemple, l’hygrométrie est plus élevée et quand on chauffe les pièces, le bois a tendance à se rétracter ». Elles vont aussi être en contact avec le métal de ses outils (son rabot par exemple), le cuir pour le polissage et les cordes. « Les cordes, c'est tout un art » m’explique Olga. « Elles sont souvent en boyaux de mouton, ou de bœuf et les crins de l’archet, en crins de chevaux. » Ici, le végétal, l’animal et l’homme jouent ensemble pour donner vie à l’instrument. Et ses mains, tissent les liens.



Les mains d'Olga près des ouïes du violon, dans le ventre de l'instrument (appelé ainsi chez nos amis anglo-saxons).  

Tout au long du processus, ses mains ne cessent de dialoguer avec la matière. Je suis curieuse de savoir si elles se sont adaptées à son métier. « Suivant ce que je fais, quand je fais un mouvement répétitif pendant longtemps, je peux avoir des ampoules. Puis après, j’ai plus de peau et ça ne me fait plus mal » Le corps s’adapte à nos besoins. Fascinante machine.


Si ses mains connaissent chaque détail du bois, ses yeux sont les complices silencieux de cette maîtrise.

La vue : voir les détails.


Lors du choix du bois, le premier coup d’œil d’Olga est déjà décisif. Elle attire mon attention sur un point intéressant « Parfois, il y a des nœuds dans le bois. En général, ça ne me gêne pas du tout, au contraire ça peut ajouter du caractère à l’instrument, mais il ne faut vraiment pas qu’ils soient placés à des endroits qui pourraient impacter le son » Cette idée m’inspire : nos nœuds, nos faiblesses peuvent nous donner davantage de caractère, notre mélodie unique. 

Dans l’atelier, au mur, il y a des photos d’instruments et des plans avec des informations techniques. Et puis sur les établis, plusieurs lampes articulées sont penchées vers les pièces de bois, comme si elles leur murmuraient des choses à l’oreille. Olga m'explique que la lumière rasante est essentielle. Elle lui permet de capter les nuances subtiles du bois, presque imperceptibles au toucher.

 


Lampes qui murmuraient à l'oreille du bois

Une fois ces détails visuels scrutés, un autre sens s’éveille. L’air se remplit d’une odeur familière…

L’odorat : l’odeur du pain chaud rempli l’atelier.

 « Au moment où on commence à travailler le bois il y a quelques légères odeurs de sèves. »

Puis pour donner une courbure parfaite aux côtés du violon, Olga vient chauffer le bois contre l’aluminium. Cette étape s'appelle "cintrer les éclisses". L’odeur qui remplie l’atelier est celle du pain chaud. « C’est vraiment très agréable »

Plus tard, d’autres parfums viendront se mêler : ceux de la colle et du vernis. Préparées à bases de matières naturelles (huile de lin, gommes, résines, propolis) elles sentent néanmoins très fort !

« La colle a une odeur quasi animale. Ça sent le fromage. Au début, je détestais, et maintenant, j’aime bien. Le vernis, c’est plutôt résineux, végétal en termes d’odeur ».

 

Un coin de l'atelier d'Olga avec les vernis, colles et autres produits. 

Et tandis que les odeurs boisées et charnelles, flottent encore dans l'air, le sens le plus inattendu se révèle…

Le goût : la sensation du bois.

Curieuse, je demande à Olga si le goût est sollicité dans son métier. Elle réfléchit plus longuement. Ce sens est moins évident. Finalement, elle se remémore :
« Ah, si. Quand je rabote, ça m’arrive d’humidifier des parties pour que ça fasse des copeaux plus réguliers et fluides. Je ne sais pas si tous les luthiers le font. Je pense qu’on est beaucoup à le faire sans le dire. ». Pour ce qu’il en est du goût : « Le gout est assez neutre. Ça se rapprocherait du pain sans sel. C’est plus une sensation. »

Ce geste, aussi intime qu’anodin, témoigne du lien entre l’artisane et la matière.

 

Retour à l’ouïe

À la fin de la fabrication, Olga choisit les cordes, positionne l’âme* dans le ventre de l'instrument, et ajuste « On peut avoir toutes les théories qu’on veut, c’est l’instrument qui décide. Il faut essayer et voir ce qui fonctionne. »

* L'âme est un petit bâton en épicéa, placé dans le ventre, la caisse de résonance de l'instrument. Un peu comme un étai, elle agit comme un soutien qui renforce la structure de l'instrument et permet de transmettre les vibrations entre les différentes parties du violon. Ce rôle de transmission est crucial pour la qualité sonore, car l’âme amplifie les vibrations pour produire un son riche et harmonieux. Tout parallèle avec l'âme humaine est autorisé. 

C’est Olga qui joue du violon pour la première fois. « C’est toujours une surprise, et c’est souvent agréable » précise-t-elle en souriant. 

Tout son corps, enfin « surtout le haut », aura travaillé de concert pour lui donner vie.

C’est par l’ouïe que tout a commencé et par elle que le violon entame sa nouvelle symphonie. 


Je quitte Olga et son atelier, admirative de son métier, de sa passion et de ce lieu où à partir de planches et boyaux de moutons, elle fait naitre une mélodie, l’harmonie.

Quel beau métier que celui de luthière.

Merci Olga.

 

Avez-vous aimé ce voyage dans la peau d’une luthière ? N’hésitez pas à me le dire en commentaires et dites-moi quel métier aimeriez-vous aimeriez explorer à travers les sens ?

 

Manon @manon.vincente


Sources complémentaires :

Reportage Météo à la Carte :
Olga, la luthière qui donne voix au bois

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